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L’APPORT DE LA LOI DE BIOETHIQUE SUR L’ETABLISSEMENT DE LA FILIATION : L’ACTE DE RECONNAISSANCE CONJOINTE

Les modes d’établissement de la filiation sont énumérés par l’article 310-1 du Code civil qui disposait, dans sa version ancienne : « La filiation est légalement établie (…) par l’effet de la loi, par la reconnaissance volontaire ou par la possession d’état constatée par un acte de notoriété. Elle peut aussi l’être par jugement dans les conditions prévues au chapitre III du présent titre ».

La filiation découle ainsi classiquement :

  • soit d’un effet autoritaire de la loi,
  • soit d’une reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité,
  • soit encore de la possession d’état constatée par acte de notoriété ou par jugement.

La loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique introduit un nouveau mode d’établissement de la filiation et complète l’article 310-1 du Code civil précité en envisageant comme mode supplémentaire d’établissement de la filiation la reconnaissance conjointe par un couple de femmes dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. L’article 310-1 dispose désormais : « La filiation est légalement établie, dans les conditions prévues au chapitre II du présent titre, par l’effet de la loi, par la reconnaissance volontaire ou par la possession d’état constatée par un acte de notoriété ainsi que, dans les conditions prévues au chapitre V du présent titre, par la reconnaissance conjointe. Elle peut aussi l’être par jugement dans les conditions prévues au chapitre III du présent titre. »

Cette reconnaissance volontaire est faite de manière anticipée, avant la conception de l’enfant ; néanmoins, à titre de dispositif transitoire, le législateur a envisagé l’hypothèse d’une reconnaissance conjointe a posteriori. Le notaire tient une place importante dans ce nouveau mode d’établissement de la filiation.

La reconnaissance conjointe anticipée

La reconnaissance conjointe anticipée permet au couple de femmes qui envisage d’avoir recours à une assistance médicale à la procréation avec intervention d’un tiers donneur de reconnaitre la filiation de l’enfant à l’égard de la femme qui ne portera pas l’enfant (la filiation à l’égard de la femme qui accouche étant quant à elle légalement établie par la désignation de la mère dans l’acte de naissance).

Cette reconnaissance intervient une seule fois avant la conception du ou des enfants issus d’un même processus médical à procréation.

L’assistance médicale à la procréation étant désormais élargi en France aux couples de femmes ainsi qu’aux femmes non mariées, l’acte médical de procréation peut avoir lieu tant à l’étranger qu’en France ; il produira ses effets en France lors de la déclaration de naissance de l’enfant issu de cette procréation assistée.

Le dispositif transitoire et la reconnaissance conjointe a posteriori

A titre transitoire, la loi de bioéthique permet aux couples de femmes de reconnaitre a posteriori la filiation d’un enfant issu d’une AMP (là où le seul mode d’établissement de la filiation était jusqu’à présent l’adoption de l’enfant par la conjointe mariée avec la mère de cet enfant).

Ce dispositif est conditionné aux points suivants :

  • L’insémination artificielle ou le transfert d’embryon doit avoir été réalisé avec succès avant le 3 août 2021 (date de publication de la loi), peu importe que l’enfant soit déjà né ou seulement conçu à la date de la reconnaissance conjointe ;
  • L’acte médical doit avoir été réalisé à l’étranger ;
  • Sa mise en œuvre doit être réalisée avant le 4 août 2024, ce dispositif cessant de s’appliquer 3 ans à compter de la publication de la loi.
loi bioethique

Au-delà de cette date, pour les enfants conçus avant le 3 août 2021, la filiation ne pourra être établie à l’égard de la femme qui n’a pas accouché que par le biais de l’adoption, sous condition du mariage préalable de la requérante à l’adoption avec la mère à l’égard de laquelle un premier lien de filiation est établi.

L’enfant, même majeur ou âgé de plus de 13 ans, n’a pas à intervenir à l’acte, son consentement n’étant pas requis (à la différence de ce qui est prévu s’agissant de la filiation établie par voie d’adoption).

La place du notaire dans la démarche de reconnaissance conjointe

La reconnaissance conjointe, qu’elle soit établie par anticipation ou a  posteriori, est forcément constatée par acte notarié. Le notaire vérifie que les conditions susvisées pour recourir à la reconnaissance conjointe sont réunies et s’assure par ailleurs de l’existence d’un seul lien de filiation, s’agissant de l’enfant déjà né.

Dans ces deux hypothèses, la reconnaissance est conjointe, les deux femmes devant intervenir à l’acte et y déclarer qu’elles ont décidé ensemble d’avoir recours à une AMP, soit par le passé, soit pour l’avenir. Le notaire recueille cette reconnaissance et informe le couple des conséquences de l’acte sur la filiation de l’enfant.

La reconnaissance anticipée est établie sur le fondement de l’article 342-11 du code civil, tandis que la reconnaissance a posteriori l’est sur le fondement de l’article 6 IV de la loi de bioéthique, les deux actes étant donc distincts. Pour rappel, dans la mesure où le couple va avoir recours à une assistance médicale à la procréation, il convient en outre de prévoir un acte notarié de consentement spécifique à cette démarche médicale.

Le notaire délivre une copie authentique de l’acte de reconnaissance conjointe au couple, et cette copie est remise par le couple ou par l’une des femmes à l’officier d’état civil en charge de dresser l’acte de naissance. Le lien de filiation à l’égard de la femme qui n’a pas accouché résulte de la mention de cet acte de reconnaissance conjointe anticipée dans l’acte de naissance.

Lorsque la reconnaissance conjointe est établie a posteriori (dispositif transitoire), la copie authentique de l’acte est adressée par le couple ou par l’une des femmes au Procureur de la République dans le ressort duquel est conservé l’acte de naissance de l’enfant. Ce dernier, après contrôle préalable du respect des conditions posées par le législateur, sollicite de l’officier d’état-civil du lieu de naissance de l’enfant que soit apposée la mention de reconnaissance conjointe.

En application de l’article 3 de l’arrêté du 9 décembre 2021, l’acte notarié de reconnaissance de filiation donne lieu à la perception de l’émolument fixe de 75,46 € prévu à l’article A444-84-1 du code de commerce (c’est-à-dire le même émolument que celui prévu pour les actes de consentement à AMP).

A défaut de disposition expresse de la loi, cet acte donne lieu à la perception d’un droit d’enregistrement sur état de 125,00 € (il se distingue en cela de l’acte de consentement à l’AMP exonéré de droit d’enregistrement en application de l’article 847 bis CGI).

La réforme de la filiation introduite par la loi de bioéthique vient également profondément réformer la question de l’accès aux origines en prévoyant que « Le principe d’anonymat du don ne fait pas obstacle à l’accès de la personne majeure née d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, sur sa demande, à des données non identifiantes ou à l’identité du tiers donneur (…) ».

Compte tenu du principe d’égalité des filiations, ce nouveau mode de filiation produit les mêmes effets que les modes classiques d’établissement de filiation, notamment en matière de nom de famille, d’autorité parentale (il faut néanmoins réserver l’hypothèse où l’une des femmes ferait obstacle à la remise à l’officier d’état civil de la reconnaissance conjointe anticipée, ainsi que l’hypothèse d’une déclaration conjointe portant sur un enfant de plus d’un an), et d’obligations alimentaires, de vocation successorale.

© Ségolène BAHUREL, notaire de l’office Estuaire Île de Nantes au sein du service Droit de la Famille